LA SAPE
Peut-être avez-vous déjà lu Black Bazar, ce livre d’Alain Mabanckou, paru en 2009 ? Il narre la vie ordinaire d’un sapeur congolais que ses amis surnomment “Fessologue” car notre héros s’avère être particulièrement intéressé par la “face B” des femmes comme ses compagnons aiment le rappeler, par là bien entendu ils veulent parler des fesses de leurs congénères. Mais ce n’est pas pour ce détail patronymique que ce livre est intéressant, bien au contraire. Ce livre est une véritable plongée dans l’univers d’un sapeur émérite qui nous fait découvrir l’univers de la Sape avec ses codes et ses repères, ses fautes de goût et ses incontournables.
Mais je suis peut-être allé un peu vite là. En lisant ces premières lignes vous vous êtes surement légitimement demandés ce que venait faire le terme “sapeur” dans cet article, revenons-tout d’abord sur cette appellation. Un sapeur est un membre de la SAPE (ou “Sape”), la Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes, ça ne vous éclaire peut-être pas beaucoup plus. Deux minutes de patience et de lecture et vous allez tout comprendre. Pour faire court, la Sape est un courant vestimentaire populaire né après les indépendances du Congo-Brazzaville et du Congo-Kinshasa.
Mais la Sape, qu’est-ce que c’est vraiment ? Comment reconnait-on un sapeur ? Comment devient-on un sapeur ? On va tout vous dire dans ce dossier.
LES ORIGINES
C’est au Congo-Brazzaville et au Congo-Kinshasa que tout a commencé. Sous le règne de Mobutu, la vie n’est pas rose, la guerre civile fait des ravages et les communautés sont plus que jamais en conflit. C’est à ce moment qu’une partie de la population décide de s’insurger publiquement contre le système et pour dénoncer la soif de pouvoir des élites, ils décident de reprendre les codes vestimentaires de ces derniers et créent ce qui deviendra la Sape, un courant vestimentaire inspiré des dandys anglais, des chap avec une touche d’extravagance savamment dosée. Les précurseurs se nomment Antoine Mvouada alias Djo Balard, Christian Loubaki, le chanteur Adrien Mombele, le compositeur Modogo Gian Franco ou encore, peut-être le plus connu d’entre eux, le chanteur Papa Wemba. Le mouvement connaitra une vive accélération en 1999 lors de la deuxième guerre du Congo.
Depuis, il n’est pas rare de croiser un sapeur dans les rues de Paris ou de Brazzaville.
LES CODES DE LA SAPE
La Sape n’est pas seulement une histoire de mode, ce sont également des codes de savoir-être et une conscience politique. Les Sapeurs se distinguent autant pour leur style que par leurs idéaux. Comme bien souvent le style n’est qu’une extériorisation d’un état d’esprit. Par exemple, le rejet complet de toute forme de violence est un principe de ce courant de pensée qui s’est construit sur les braises d’une guerre civile. Si on replonge dans Black Bazar, on peut y lire : “Les bagarres, les conflits je ne connais pas. Les polémiques, les prises de bec, je n’apprécie pas. La bagarre ce n’est souvent qu’une histoire de manque de communication, je veux dire une méconnaissance de l’usage du monde.” Le Sapeur est d’abord un gentleman.
Si on s’intéresse plus particulièrement à la tenue et à l’attitude, le principe de base de la Sape, c’est la tricologie ou trilogie des couleurs. L’allure est d’inspiration fin du 19ème-début 20ème siècle avec bien entendu un costume que l’on porte avec un veston et énormément d’accessoires. Le sapeur n’attend pas les grands événements pour se parer de ses plus beaux atours, toutes les occasions sont bonnes pour prouver sa maîtrise de l’art de la Sape.
SAPE VS SAPOLOGIE
Aujourd’hui, l’amalgame se fait rapidement entre la Sape et la Sapologie (ou “Sapelogie”). Vous avez d’ailleurs peut-être plus entendu parler de la Sapologie, petite sœur de la Sape, un deuxième courant vestimentaire que les puristes tiennent farouchement à différencier. Même si les codes de base sont les mêmes que ceux de la Sape, la Sapologie se distingue par son côté flashy et ostentatoire. Symbole d’une époque, les sapologues mettent en avant les marques qu’ils portent, Dior, Weston… comme des trophées. En 2009, Paul Smith avait d’ailleurs pour un de ses défilés de la Fashion Week largement repris les codes de la Sapologie, on pouvait d’ailleurs à cette époque trouver dans les boutiques Paul Smith le fameux livre Gentlemen of Bacongo que je vous conseille.
DANS LE DRESSING D’UN SAPEUR
Guinness a sorti récemment une publicité qui permet de plonger une peu dans le dressing des sapeurs.
On trouve dans le dressing du sapeur des costumes qui peuvent être sombres ou colorés. Le pantalon se porte court et ajusté pour mettre en lumière les chaussettes, élément très important de la tenue du sapeur. Les chaussures sont toujours impeccablement cirées, elles peuvent être en crocodile, à double boucles ou bicolores. On porte plus souvent les bretelles que la ceinture que les sapeurs laissent aux sapologues.
La cravate est un incontournable même si les nœuds papillon sont très présents également. La couleur de la cravate ou du nœud pap’ est un élément pivot de la colorimétrie de la tenue, il faut l’associer à la couleur des chaussettes ou de la pochette de la veste qu’il ne faut pas hésiter à bien ressortir de sa poche, il n’est pas nécessaire qu’elle soit parfaitement pliée comme il est de coutume de la porter aujourd’hui. La veste s’accompagne bien souvent de son veston. Le sapeur n’hésitera pas à utiliser une canne pour marcher, une canne dans un bois luxueux. Les lunettes seront généralement rondes, les sapologues préféreront les montures italiennes très tape-à-l’oeil. Et bien entendu, les chapeaux sont de sortie, on les préférera de type fedora ou tribly.
Pour résumer, la Sape c’est un courant vestimentaire qui n’a rien du déguisement, bien au contraire. La maîtrise de l’art de la Sape nécessite des heures et des heures de travail, de choix des pièces, des tissus, des accessoires… Rien n’est fait au hasard. Tout répond aux codes que l’on a pu voir ci-dessus. Au delà du symbole et du côté historique de ce courant, on a beaucoup de choses à apprendre des sapeurs. Je ne saurais trop vous conseiller de regarder le documentaire de Guinness successif à la publicité vue plus haute qui résume parfaitement l’esprit des sapeurs.
Photo Hector Mediavilla
Source : www.commeuncamion.com